WORKAHOLISM

Atlantico : Selon une étude menée par plusieurs chercheurs (anglais, norvégiens et américains) et publiée dans le journal Plos en mai 2016 (voir ici), il existerait des liens entre l’addiction au travail et certains troubles psychiques. Quels sont ces troubles psychiques dont on a découvert qu’ils étaient liés à l’addiction au travail et de quelle nature sont ces liens ?
FRANCINE EMSCHWILLER : L’addiction, qui est un terme qu’on accole maintenant au mot « travail », était jusqu’alors lié à l’alcool ou aux drogues.

Parle-t-on de troubles psychiques liés à l’addiction au travail, ou de troubles psychiques qui s’expriment par le travail ?

Chaque personne a un niveau d’exigence propre et l’exprime dans différents champs de sa vie. Certaines personnes exigent d’elles-mêmes une sorte de perfection. Plus une personne est exigeante avec elle même, plus un travail « mal fait » , ou mal reçu par l’environnement professionnel, sera vécu comme un échec, accompagné d’un sentiment de culpabilité. Un enfant, un adolescent, se construit en fonction de son histoire familiale, de l’environnement dans lequel il a grandi, des valeurs que lui a transmises sa famille, les modèles que représentent ceux qui lui ont servi de référence pour grandir. Dans certaines familles, la réalisation par le travail est un enjeu fort, central dans la construction de l’identité. Le travail est, selon chacun, une part plus ou moins importante de l’identité. Si le travail est central, une difficulté au travail prend des proportions importantes. Il y a des familles où on est agriculteur, médecin, ébéniste ou « homme » politique, de père en fils. C’est une identité qui se transmet, se construit dans l’esprit de l’enfant. Ce projet “moi, plus tard, je serai…” peut devenir un projet central constitutif de l’identité. Certaines personnes mettent une énergie considérable à «  réussir au travail ». Pour ces personnes, si une difficulté surgit au travail, qui compromette la réalisation par celui-ci, cela peut engendrer des difficultés, qui au-delà du travail, remettent en jeu la place de cette personne dans la généalogie familiale. Dans d’autres familles, les dimensions culturelles, sociales, voire sportives sont des enjeux plus importants.

Selon l’équilibre de chacun, une personne accordera plus d’importance au travail, à sa famille, à ses engagements dans la société ou sa communauté. Et en fonction de ce qu’ils ont d’autres, de leur construction, de ce qu’il se passe dans leur vie et de l’importance de toutes ces choses, par exemple “les amis sont-ils importants ?”, “La famille est-elle importante”, ils vont mettre plus ou moins d’énergie dans le travail. La façon dont ils vont construire leur relation aux autres dans le travail est également importante pour comprendre cette addiction. Pour les gens accros à leur travail, l’identité professionnelle est très importante et constitue une fierté personnelle.

Donc, l’addiction au travail ne se situe pas seulement au niveau de l’organisation, mais de la personne et de ce qu’elle peut et souhaite prouver dans son travail. Si le travail se passe bien, la valorise, lui permet d’être au niveau de ses exigences internes, il n’y aura aucun problème. Mais si les circonstances de l’organisation du travail font entrave à l’idée que la personne se fait d’un travail bien fait, elle peut développer une forme d’addiction dans la mesure où elle fera toujours plus pour que ça aille mieux. Le travail devient un symptôme d’une forme d’organisation psychique, avec le besoin d’atteindre une certaine forme de perfection et de respecter ses valeurs. L’attitude au travail est une des expressions de la construction de la personne.   

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